Erythra Thalassa. Les marins d’Alexandre, de l’Indus à la mer Rouge

Erythra Thalassa. Les marins d’Alexandre, de l’Indus à la mer Rouge

Projet de thèse de Paul Greco
Sous la direction de Didier Marcotte (Sorbonne Université) et Donatella Erdas (Université de Milan)

La campagne d’Alexandre le Grand en Asie (334-324) est un moment pivot pour la géographie antique. Cet événement extraordinaire a en effet posé les bases d’une révision de la figure du monde connu, en l’étirant en longitude, offrant ainsi le parfait pendant au voyage de Pythéas qui l’étirait, au cours des mêmes décennies, en latitude. Mais, à la différence du marin massaliote, Alexandre, en digne élève d’Aristote, a missionné pour son compte plusieurs philosophes, savants et ingénieurs, afin de répertorier diverses connaissances au sujet des régions qu’il allait traverser. Dans ce processus d’expansion et d’inventoriage, les expéditions maritimes ont joué un rôle décisif, qui n’a encore jamais fait l’objet d’une étude d’ensemble. Il semble donc légitime d’interroger à frais nouveaux, dans une perspective holistique fidèle à l’esprit aristotélicien, l’apport scientifique à court et à moyen termes des données collectées par les marins d’Alexandre.

Le retour de la flotte vers le golfe Persique, entre septembre 325 et janvier 324, est le moment de l’expédition dont la postérité a été la plus importante. Les figures de Néarque de Crète, amiral de la flotte, et d’Onésicrite d’Astypalée, timonier du bateau d’Alexandre, y occupent une place particulière : les deux marins ont en effet, chacun leur tour, relaté le périple effectué le long des côtes du Pakistan et de l’Iran actuels. Un autre moment significatif est celui des essais de circumnavigation de la péninsule Arabique, au printemps et à l’automne 324, par Archias de Pella, Androsthène de Thassos, Hiéron de Soles et Anaxicrate. Parce qu’ils ont profondément transformé la perception qu’avaient les Grecs du visage physique et humain de l’Asie, les rapports nautiques issus de ces navigations ont contribué à l’émergence d’un discours nouveau sur l’œkoumène. C’est à l’étude de ce tournant que s’attache notre thèse, en dépassant, au moyen d’une nouvelle étude d’ensemble, les cas régionaux qui ont été jusqu’ici pris en compte. 

Notre corpus, constitué par les fragments des hommes de mer d’Alexandre, se distingue par une unité spatiale forte : celle de la mer Erythrée, nom ancien de l’océan Indien. Les textes concernés, issus des navigations menées depuis le delta de l’Indus jusqu’au golfe de Suez, devaient être, dans un premier temps, factuels et informatifs, puisque directement destinés aux dirigeants de l’empire nouvellement dessiné. Il s’agira en premier lieu de mener une analyse renouvelée de ces fragments afin de réévaluer la nature et la destination des rapports de mission. La thèse se situant à la croisée de diverses branches des sciences de l’Antiquité, notre attention lors de cette étude sera dirigée tant sur des questions philologiques (lexique maritime et nautique) qu’historiographiques.

Dans un deuxième temps, nous procéderons à l’étude des inventaires réalisés par les marins au cours de leurs différentes expéditions. Pour mener à bien cette analyse, nous chercherons à établir une base de données nous permettant de répertorier et de comparer, chez nos différents auteurs, les mentions de lieux, de distances, de membres de l’équipage, de guides, ainsi que les remarques au sujet de la flore, de la faune, des habitants et de l’économie des pays traversés. 

Notre troisième axe d’étude consistera en l’évaluation des retombées scientifiques qu’ont eues les rapports de mission maritimes dans le monde grec. Plusieurs domaines seront au cœur de notre analyse, dont les plus importants sont ceux de la botanique, de la zoologie et de l’ethnologie. Enfin, une étude cartographique sera envisagée : les marins mandatés ont en effet procédé à des relevés topographiques et, à l’instar des arpenteurs au service du roi, à des mesures de distance qui ont contribué à donner à l’Asie majeure ses premiers contours et à élargir en conséquence la carte du monde héritée d’Hérodote, d’Eudoxe et d’Aristote.

Illustration :  Statue d'Alexandre le Grand à Thessalonique, Grèce