Sources

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Projet Palingenesis

Palimpsestes grecs et latins.
Étude philologique et historique ; nouveaux procédés d'analyse multispectrale (BNF - Département des manuscrits occidentaux).

Les bibliothèques d’Europe conservent plusieurs centaines de palimpsestes, vestiges d’anciens manuscrits de parchemin, datables de la fin de l’Antiquité, qui ont été remployés, au cours du Moyen- Âge, pour recevoir des textes nouveaux, après lessivage et grattage de la couche d’écriture initiale, à des époques (généralement entre le VIe et le XIe s.) et en des lieux où le parchemin venait à manquer. Dans les livres ainsi recyclés, des écrits chrétiens de nature diverse (testamentaires, exégétiques, apologétiques ; homiliaires, euchologes, etc.) ont pris la place de textes antiques qui cessaient d’être lus. 

Dans les premières décennies du XIXe s., les textes sous-jacents ont commencé à susciter l’intérêt des philologues et des historiens, qui ont eu recours à des réactifs chimiques pour exalter, le temps d’un éclair, les traces de ces textes et en tenter une transcription. De tels procédés, utilisés massivement jusqu’à leur proscription en 1894, ont endommagé le support, de manière irréversible, et continuent à le dégrader, compromettant tout examen ultérieur à l’œil nu des pages ainsi traitées. Le dommage est d’autant plus grand que les textes concernés sont souvent les témoins les plus anciens d’une tradition, quand ils ne sont pas uniques. 

Depuis un quart de siècle, de nouveaux procédés optiques par balayage multi-spectral, non-invasifs ni pour le support ni pour les encres, ont été tentés avec un succès variable. Le cas le plus connu est celui de l’Archimède du Walters Art Museum, mais ce manuscrit, découvert au début du XXe siècle, était indemne de tout traitement chimique. 

Financé par l’Union européenne en 2001-04, le programme Rinascimento Virtuale/Digitale Palimpsestforschung: rediscovering Written Records of a Hidden European Cultural Heritage (siège : Hambourg) a initié une dynamique à l’échelle européenne, mais les résultats en ont été limités en raison d’objectifs de départ trop ambitieux. Le consortium italo-allemand Palamedes (‘Palimpsestorum Aetatis mediae editiones et studia’, Göttingen-Bologna) en continue l’esprit, sur un corpus de manuscrits plus restreint ; à ce jour, il n’existe pas, dans le domaine, de projet fédérant les compétences des universités et des équipes de recherche françaises. 

Des enseignants chercheurs et des chercheurs des UMR 8167 (Orient et Méditerranée) et 8061 (Centre Léon-Robin) sont actuellement engagés dans l’étude et l’interprétation de différents palimpsestes à contenu scientifique, philosophique et technique. Les groupes de travail qu’ils ont constitués ont commencé à acquérir une expérience dans le traitement et l’analyse de ces témoins, dont le contenu est souvent nouveau. 

Une collaboration s’est formée avec Lumière Technology, société spécialisée dans la photographie multi-spectrale, dont l’expertise est reconnue dans l’analyse d’œuvres peintes à plusieurs strates. La mise au point, par cette société, d’une technique adaptée à la lecture de palimpsestes a été réalisée dans le cadre d’un projet Émergence sélectionné par SU en 2019 (porteur V. Gysembergh) et centré à titre expérimental sur le manuscrit Ambrosianus L 99 Sup. ; elle a donné lieu à des résultats significatifs, qui ont fait l’objet d’une première présentation à l’Istituto Svizzero di Roma le 12 février 2020, autour du palimpseste de Strabon, et feront l’objet d’un talk au prochain congrès de l’ICHST à Prague en 2021. 

Un intérêt pour l’utilisation du procédé de Lumière Technology a désormais été exprimé par les départements de manuscrits de la BnF et de la Biblioteca Apostolica Vaticana (BAV), qui n’ont pas encore développé en leur sein une technologie comparable. Leurs directions respectives ont formellement marqué leur accord pour la mise en place d’un tel projet. 

Au sein de l’Alliance Sorbonne Université, l’Institut OPUS (Observatoire des patrimoines de Sorbonne Universités) constitue par vocation la plateforme collaborative pour un projet à portée patrimoniale. Les objectifs du projet répondent de fait à une vraie attente sociétale, touchant à la conservation et la mise en valeur du patrimoine mondial, et sont ainsi en résonance avec les réflexions actuelles sur les éléments constitutifs de l’identité méditerranéenne, fondée entre autre sur un patrimoine partagé de traditions et de pratiques savantes. 

La lecture et la transcription des textes traités avec des réactifs constituent sont aussi des opérations de sauvegarde, dans la mesure où le processus de dégradation n’est pas stabilisé, comme en témoignent, par exemple, les copies effectuées sur plusieurs manuscrits de la BAV dans les décennies 1930- 1960, qui offrent des lectures désormais impossibles aux rayons UV. 

Le projet consistera d’abord à étudier un corpus de textes grecs et latins à contenu scientifique, qui intéressent tout le champ des sciences de l’Antiquité. Au cours de cette période, trois cas seront envisagés, qui répondent aux situations types de remploi médiéval de manuscrits tardo-antiques : (1) celui du codex ancien démembré pour servir de support à plusieurs manuscrits nouveaux, dont l’histoire mérite d’être retracée à rebours. Les mss. de la BAV gr. 2306 (Pentateuque) et 2061 (Grégoire de Nazianze) en sont une illustration ; ils contiennent dans leur couche inférieure les restes d’antiques codices de Strabon et de Théophraste, copiés respectivement au Ve et au VIe s. Leur analyse et leur déchiffrement constituent un défi particulier, jamais tenté jusqu’ici, puisque ces manuscrits ont la double particularité d’être doublement palimpsestes et d’avoir subi les effets de réactifs chimiques. (2) celui du manuscrit constitué de différents vestiges de codices anciens, dans un milieu que l’analyse des textes sous-jacents devrait permettre de cerner. Le ms. de Vérone, Bibl. Capit. XL (38), en est un exemple : son texte inférieur contient e.a. la première décade de Tite-Live, un Euclide latin et un texte philosophique non autrement identifié. (3) le cas du codex ancien démembré pour offrir le matériau nécessaire à la restauration d’autres manuscrits et dont les lambeaux demandent un examen spécifique pour en déterminer le contenu et la provenance. La BnF conserve plusieurs exemplaires de ce type, dont le Paris gr. 1397 (Xe s.), qui renferme les vestiges d’une antique édition de Dion Cassius et d’autres lambeaux de livres qui restent à identifier. 

Pour chacun des manuscrits étudiés, on procédera à une photographie par balayage de différentes longueurs d’onde, selon les méthodes de l’imagerie multi-spectrale. Les images seront ensuite analysées par des algorithmes spécifiques, qui détermineront une lisibilité accrue de la (ou des) couche(s) inférieure(s) d’écriture. Dans un troisième temps, les images ainsi traitées feront l’objet d’une transcription, que suivra enfin l’interprétation des textes eux-mêmes ; pour certains de ceux-ci (ms. de Vérone p. ex.), il s’agira aussi de leur editio princeps. 

Les travaux seront menés en relation avec des projets en cours : ainsi celui de l’édition collective de Strabon dans la CUF, pour laquelle le déchiffrement du palimpseste est un enjeu majeur (coord. D. Marcotte), ou le projet Palimedes consacré à plusieurs traités astronomiques de Ptolémée non conservés par la tradition médiévale (coord. V. Gysembergh). Ces projets impliquent actuellement les UMR 8061 (dir. J.-B. Gourinat) et 8167 (dir. P. Tallet) ; le projet Palingenesis visera à renforcer la synergie entre les unités, voire à l’élargir à d’autres. L’EA 4081 ‘Rome et ses Renaissances’ (dir. H. Casanova-Robin) a déjà manifesté son intérêt pour une collaboration future dans ce cadre. 

Le projet permettra le développement d’un ensemble de compétences de pointe rares en France et dans le paysage international des sciences de l’Antiquité et des humanités numériques : la capacité, pour ses participants, à mettre en œuvre les techniques d’imagerie multi-spectrale, depuis la conception et l’exécution des campagnes in situ jusqu’à l’exploitation des images pour le déchiffrement, en passant par les choix de traitements algorithmiques et informatiques permettant d’optimiser la lisibilité du texte. Ces compétences pourront ensuite être réinvesties dans des projets futurs portant sur le déchiffrement de manuscrits palimpsestes. 

Après une période d’amorçage soutenue par Sorbonne Université, une candidature à l’ANR ou à l’ERC sera considérée à l’horizon 2022-2023. 

BnF (Département des Manuscrits occidentaux, conserv. Chr. Förstel) ; IRHT (UPR CNRS 841, dir. Fr. Bougard) ; Centre Paul-Albert-Février (TDMAM, UMR CNRS 7297 ; dir. E. Caire).